Le camelot de la République
 

Claude Allègre plaît aux Français : voilà enfin un homme fort, un homme à poigne à qui on ne la fait pas, un homme pétri de bon sens. Son apparence débonnaire, sa façon bien à lui d' écorcher le français, sa grande gueule, tout ça rassure et tranche singulièrement avec les énarques filiformes, incolores, inodores et sans saveur. Claude Allègre, c' est un peu le discours d' Arlette Laguiller, avec les poils en plus, dans le genre : " on vous ment, je vais vous dire la vérité ". Et il est vrai que, quand Claude Allègre se met à vouloir rétablir des vérités, ça vaut le détour...

Il se trouve que cet immense ministre que Jospin a donné à la France vient de publier un livre d' entretiens, fort instructif : Toute vérité est bonne à dire (sic). Jugeons plutôt :

"(cette politique a conduit à... ) l'absurde décision de supprimer l'examen d'entrée en 6ème. Résultat, 15% des élèves qui entrent au collège ne savent pas lire. Un collège unique c'est bien. Mais si on ne sait pas lire, écrire et compter, on ne doit pas passer au collège. On doit continuer à lire, écrire et compter. Ceux qui n'y arrivent pas, on les met dans des classes spéciales, avec un encadrement renforcé, au lieu de les noyer dans une classe de collège au nom de l'égalitarisme. Quand vous ne savez pas nager, on ne vous jette pas dans la piscine. "

Si on sait bien lire, c'est donc qu'à l'école primaire se pose un sérieux problème. On se demande alors pourquoi Claude Allègre a claironné pendant trois années que le maillon faible du système éducatif était le lycée, qu'il fallait réformer díurgence. Nombreux étaient ceux qui alors pointaient du doigt líapprentissage insuffisant de la lecture à l'école primaire, et accessoirement les dysfonctionnements du collège unique : ils étaient alors raillés par notre dresseur de mammouth.

En lisant cette surprenante déclaration, un lecteur rapide se réjouira en pensant que Claude Allègre a bien mis à profit ses 6 mois d'éloignement du pouvoir pour reconnaître ses erreurs. Et ce même lecteur lui pardonnera alors d'avoir pris par le passé des décisions exactement contraires aux propos qu'il tient aujourd'hui. Le Claude Allègre qui dit en 2000 : " on ne doit pas passer en 6è si on ne sait pas lire " est le même qui,  quand il était conseiller de Jospin en 1989, a supprimé les redoublements en CP et en CM1. Le Claude Allègre qui découvre aujourd'hui que 15% des élèves ne savent pas lire est le même qui a réduit les heures consacrées à la lecture à líécole primaire au profit de l'enseignement de l'anglais. Le Claude Allègre qui critique l'hétérogénéité du collège unique est le même qui l'a renforcée en supprimant les classes de technologie en 4ème et en 3ème. Le Claude Allègre qui regrette la suppression de l'examen d'entrée en 6è est le même qui úuvrait pour supprimer l'examen du baccalauréat.

Mais passons puisqu'aujourd'hui Allègre est convaincu que la source des dysfonctionnements du système éducatif est à rechercher du côté de l'école primaire.

Or, quelques lignes plus loin, notre ex-ministre écrit : " J'entendais ces jours-ci Jack Lang parler du primaire comme l'objet prioritaire de ses réformes. C'est une vision démagogique. Elle plaît au SNES en répandant l'idée que le primaire va plus mal que le secondaire. C'est ridicule. "

Là, on ne comprend plus : c'est le lycée ou l'école primaire qu'il faut réformer ?

Plusieurs hypothèses sont dès lors possibles :

1) Claude Allègre est un jésuite qui manie tellement bien la dialectique qu'il est capable de rendre cohérent une idée et son contraire. On croyait avoir un géophysicien à la réputation mondiale rue de Grenelle. On avait en fait un condensé de Hegel, d'Edgar Faure et d'Ignace de Loyola, bref, un type exceptionnel. Et nous ne le savions pas. J'ai subitement des remords...

2) Claude Allègre dit n'importe quoi, avec l'assurance du bonimenteur qui sait que plus le mensonge est gros, moins il a de chances d'être démenti. Celui qu'on prenait pour un ministre n'était en fait qu'un brillant camelot capable de vendre des aspirateurs à bretelle à un manchot, des autocuiseurs à propulsion nucléaire à un rescapé de Tchernobyl ou des lunettes photochromiques à un aveugle.

Pierre Bellemarre ferait bien de se méfier : d'ici que notre bon Claude lui pique sa place au télé-achat...
 

                                                                                                                                31 Août 2000