La crise du sens
 

Croire que la crise actuelle de l'Ecole est due à la médiocrité des professeurs (ah! le chiffre invérifié et invérifiable des 15% de mauvais profs, de "salauds" dénoncés par Allègre dans son dernier livre), c'est passer à côté de l'essentiel. C'est se donner bonne conscience. C'est croire qu'en modifiant le recrutement des professeurs, en les formant mieux, en virant les mauvais, en introduisant une grosse louchée de pédagogisme ou de pluridisciplinarité, on résoudra tous les problèmes.

La crise de l'Ecole est avant tout une crise du sens. Quel est le sens des études dans un monde où la valeur suprême est l'argent ? quel est le sens de l'effort dans un monde où on vante les fortunes faites en un quart d'heure, par les start-up, les loteries ou les stock-options ? quel est le sens de la Culture, du Beau, du Vrai quand partout on rabaisse LA culture AUX cultures, quand partout on confond le Beau avec l'agréable, et quand partout on ramène le Vrai à l'opinion ? Quel est le sens de l'apprendre quand on veut nous persuader que cliquer suffit pour savoir ? Quelle est la place de l'Ecole dans la société aujourd'hui, autrefois institution, désormais simple service public, et demain lieu de vie où l'on vient consommer des savoir-faire et des diplômes ? Vous aurez beau former les meilleurs professeurs du monde, ils arriveront peut-être à tenir les classes et à intéresser les élèves, à la satisfaction bruyante des parents et des chefs d'établissement, ils n'arriveront pas à les former intellectuellement, (car se contenter d'intéresser un élève, ce n'est pas lui apprendre à penser) tant que ces questions n'auront pas été posées et résolues.

C'est à cette crise du sens qu'il faut d'abord répondre. La crise de l'Ecole ne se réduit pas à un problème de forme, comme on veut nous le faire croire : on pourra longuement ergoter sur la qualité des profs, leur recrutement, le gigantisme de l'E.n. En vain : car il s'agit bien plus d'un problème de fond que de forme de l'enseignement. Problème de fond qui nécessite de réfléchir à la place que l'on assigne à l'Ecole dans nos sociétés. L'Ecole instruisait avant-hier ; depuis hier on lui demande d'éduquer, aujourd'hui sa mission se réduirait à insérer. Qui ne voit qu'on pervertit ainsi l'Ecole en en faisant une annexe de la MJC, de l'ANPE et de l'Assistance sociale, et que cette perte de statut, loin d'aplanir les difficultés dans la transmission des connaissances, les nourrit ?

Donner du sens à l'école c'est par exemple étudier  Tristan et  Iseult dans les classes, y compris en BEP et en banlieue. Se contenter d'insérer, c'est au contraire, comme on le demande aujourd'hui aux professeurs, monter des projets pédagogiques pluridisciplinaires un peu ronflants, très beaux sur le papier, qui font s'extasier les parents d'élèves lors des conseils d'administration, mais  qui, dans leur traduction concrète, se résument bien souvent à l'organisation d'un voyage au Futuroscope ou à Disneyland.

Donner du sens à l'école, c'est traiter les enfants comme des élèves, c'est-à-dire comme des êtres en devenir qu'on ELEVE à la condition d'hommes par l'instruction, comme un matériau brut que l'on transforme pour produire du citoyen. Insérer, c'est à l'inverse considérer le jeune comme un individu à part entière, comme une production déjà achevée, comme un monde en soi ; c'est propager le message subliminal selon lequel les jeunes sont déjà eux-mêmes et surtout qu'il ne faut pas les empêcher de devenir ce qu'ils sont déjà.

Donner du sens à l'Ecole, c'est refuser la main-mise des FCPE, Meirieu, Microsoft ou Vivendi sur l'institution scolaire, main-mise qui la dégrade en service public soumis à la demande sociale. C'est finalement considérer que l'Ecole fonde la société, au lieu d'en être le reflet, et qu'elle relève donc du politique.

Donner du sens, tout est là.
 
 

                                                                                                                                                  Vandale
                                                                                                                                                    17 septembre 2000