Vive le ministère de l'Instruction publique !
 

On vit une époque formidable : à lire la presse, à écouter les pédagogues des IUFM ou les parents d'élèves, voilà maintenant que le fait pour un professeur de vouloir transmettre un savoir relèverait du corporatisme. Refuser d'éduquer et préférer instruire, ce serait mépriser les élèves : on croit rêver ! Les mots n'ont plus de sens ! On retrouve dans certains propos la logorrhée des pseudo-spécialistes des sciences de l'éducation, qui nous préparent un lycée "light", sans connaissances, où seuls compteront l'épanouissement et la socialisation des enfants. Or, instruire est plus noble qu'éduquer, plus exigeant aussi : instruire, c'est émanciper l'enfant pour en faire un citoyen, c'est au sens propre l'élever. Alors qu'éduquer consiste uniquement à socialiser l'enfant, à l'adapter aux normes sociales. La louve sait spontanément socialiser le louveteau, c'est-à-dire l'adapter à son milieu ambiant : elle ne l'instruit pas !

 On devine même le risque d'une Ecole qui se fixerait pour but de socialiser. A trop prendre en considération les antécédents, le vécu, le milieu de l'enfant, on risque de l'enfermer un peu plus dans son destin familial. Au petit Mohammed ou au petit Kevin des banlieues, on offrira des cours fondés sur l'analyse des publicités ou le rap, parce que, tu comprends, compte tenu de sa culture familiale, il ne peut pas avoir accès à la culture, à la littérature, au livre. A lui la culture au rabais, et ce sera déjà un exploit s'il sait rédiger tout seul la lettre de motivation qu'il enverra au Mac Do. Tandis qu'Anne-Sophie et Arnaud seront dès le plus jeune âge frottés aux grands textes. Il s'agit là d'une formidable régression. Là où l'école autrefois émancipait parce qu'elle traitait de la même façon Antonio et Gaston, on choisit aujourd'hui, au nom d'une discrimination positive qui accentue les différences, de renforcer le déterminisme social, en empêchant Mohammed d'accéder à la culture classique. Comme si chaque élève n'était pas capable d'être à l'aise dans le livre, et ce dès l'enfance. Comme si finalement l'instruction était réservée à certains. Au risque de me répéter, pour ce qui y est d'éduquer, revenons encore et toujours à Alain :

"Vous dites qu'il faut connaître l'enfant pour l'instruire ; mais ce n'est point vrai ; je dirais plutôt qu'il faut l'instruire pour le connaître ; car sa vraie nature c'est sa nature développée par l'étude des langues, des auteurs et des sciences. C'est en le formant que je saurai s'il est musicien".

Cela suffit pour discréditer les politiques éducatives qui placent "l'élève au centre du système" (loi Jospin de 1989). Car elles reposent toutes sur l'idée que l'enfant est déjà une personne dotée d'une identité quasiment définitive. Tout en découle : l'enfant qui doit pouvoir exprimer en classe ce qu'il est au lieu d'écouter, la créativité et la personnalité de l'enfant qu'il faut laisser s'épanouir, le renoncement à l'instruction exigeante qui violerait son identité.

En fait il faudrait revenir à des idées simples, mais essentielles : la famille éduque et l'école instruit. Il arrive que la famille instruise, mais ce n'est pas son objectif premier. De même, s'il arrive à l'école d'éduquer, ce n'est qu'un sous-produit de l'instruction qu'elle délivre : ce n'est jamais le but recherché.  D'ailleurs, il serait temps de rebaptiser les enseignants, professeurs, les professeurs des écoles, instituteurs et le ministère de l'Education nationale, ministère de l'Instruction publique, ce qu'il était jusqu'en 1932.