Bac Vivendi option Microsoft

On se trompe souvent sur les buts de l'Ecole. La réforme Allègre reposait sur l'idée selon laquelle l'élève vient d'abord chercher à l'école une formation en vue de s'inclure dans la société. Idée faussse et dangereuse : ce n'est pas à l'Ecole de former la future main-d'oeuvre de Vivendi, ou les futurs spectateurs de Canal+.

L'Ecole doit instruire, c'est-à-dire donner des savoirs et former le raisonnement. Elle n'a pas d'autres buts.

Dans cette optique, le rôle de l'Ecole primaire est de transmettre les savoirs élémentaires (c'est pourquoi elle devrait reprendre son ancien nom, école élémentaire, ce qui clarifierait les choses) : lire, écrire, compter. L'objectif est qu'en fin de CM2, l'enfant soit à l'aise en lecture, sache rédiger sans faute et soit capable de résoudre des exercices simples de géométrie et d'arithmétique. Point final

L'Ecole secondaire délivre elle une culture générale (des savoirs et des méthodes) qui permettra à l'enfant de devenir citoyen, c'est-à-dire de participer pleinement au débat dans la Cité. Il ne s'agit en aucun cas d'y apprendre un métier, ni de s'insérer dans la société. On forme de futurs citoyens actifs, dotés d'une pensée autonome, critique, et non des automates formatés pour la production et la consommation. (Seul l'enseignement secondaire technique prépare à un métier, même s'il suppose également une part d'enseignement général).

L'Ecole de 3 à 16 ans (voire 18 ans) n'a donc pas pour mission de préparer l'insertion professionnelle. C'est pourquoi elle n'a aucune responsabilité dans l'augmentation du chômage (ni dans sa diminution d'ailleurs). En revanche, elle doit des comptes quand des enfants sortent des murs de la classe sans être chez eux dans la langue française, quand ils ne savent pas se situer dans l'histoire et la géographie, quand ils ne maîtrisent pas les raisonnements mathématiques de base. Plutôt que de plier l'Ecole aux impératifs d'insertion économique, on ferait mieux de se demander pourquoi des élèves à 17 ans ne savent pas ce qu'est une proportion ou ignorent que la Loire est un fleuve. Plutôt que de se demander s'il vaut mieux enseigner Windows 2000 en formation initiale ou en alternance, demandons-nous plutôt comment transmettre à l'Ecole élémentaire, au Collège, au Lycée, des savoirs solides, valables toute la vie.

L'Ecole est actuellement soumise à des pressions utilitaristes formidables : on exige d'elle des diplômes utiles, des compétences utilisables immédiatement, de la rentabilité à court terme. Imprégnés par ce discours mercantile, certains élèves refusent aujourd'hui d'apprendre autre chose que ce qui est utile dans leur vie quotidienne. Dans les journées "portes ouvertes", on valorise à outrance l'équipement informatique de l'établissement, comme si une craie, un tableau et un bon professeur n'étaient pas les seuls ingrédients nécessaires à la transmission des Savoirs. Ce pédagogisme clinquant pseudo-moderniste prospère au détriment de la Culture, dont la mort à l'Ecole semble programmée. L'introduction de l'apprentissage ne ferait qu'accroître cette dérive utilitariste, pour faire de l'Ecole de la République, donc de la République elle-même, une succursale du MEDEF. A quand le bac Vivendi option Microsoft ?

Il faudrait plutôt réfléchir à la façon de reintroduire à l'Ecole la gratuité, le plaisir du détour, la spéculation inutile qui ne fera sens que plus tard, bien plus tard. Cela suppose d'éloigner de l'Ecole les parents qui, par nature, préféreront toujours Windows à Racine.