L'Ecole rame contre le matérialisme de nos sociétés

Ah, ils en avaient besoin, les parents d'élève, de pouvoir se défouler contre les profs : profs paresseux, toujours absents, et qui ont la sale manie de pointer du doigt la responsabilité des parents et de la télévision dans l'éducation des enfants. Ils peuvent remercier Allègre qui a ainsi exprimé tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Ils ont enfin pu afficher leur anti-intellectualisme front haut, celui-là même qui méprise les professeurs quand simultanément il encense les milliardaires en short et les bonimenteurs télévisuels.

Profs paresseux ? pas si sûr. Que ceux qui n'en sont pas convaincus aillent visiter les coulisses d'un établissement scolaire, ils seront surpris de voir le zèle et la conscience profesionnelle de nombre d'entre eux. La difficulté du métier aussi. Aussi, parlons plutôt de lassitude que de paresse. Car il existe, c'est vrai, une certaine lassitude à voir que les différentes réformes ménées depuis 25 ans sapent le travail que les professeurs effectuent sur le terrain. Depuis 25 ans, le message envoyé aux enfants est en effet clair : quelles que soient ses notes, quel que soit son comportement, au bout du compte, l'élève passera en classe supérieure et finira par décrocher son bachot. Ce simulacre de système éducatif, qui gère les flux au détriment de l'instruction, a de quoi décourager les professeurs les plus motivés.

Quant aux parents, toutes les études de la défunte DEP (Direction de l'Evaluation et de la Prospective au Ministère) montrent que les élèves qui sont bien suivis par leurs parents réussissent mieux que les autres, à milieu social identique. C'était jusqu'ici un truisme relevant du bon sens : il est désormais confirmé par les statistiques. C'est ce que répètent inlassablement les professeurs : rien de plus, rien de moins. Dire cela, ce n'est pas cependant jeter l'opprobe sur les parents qui, par manque de diplôme, manque de temps, stress lié aux conditions de production actuelles, ne suivent pas suffisamment leurs enfants. On comprend qu'une mère qui élève seule ses enfants ait certaines difficultés... Ce qu''on comprend moins cependant, c'est qu'elle approuve des réformes qui réduisent les heures d'enseignement au lycée de 10%.

Pour finir, la télévision : c'est aujourd'hui dans de nombreuses familles le premier précepteur de l'enfant, dans la mesure où certains enfants passent dans l'année plus de temps devant l'écran cathodique que sur les bancs de l'école. Il y aurait donc du bon sens à ce que la télévision joue pleinement son rôle éducatif. Or que propose-t-elle ? des jeux débiles, le zappinge instantané des images qui freine la concentration et l'attention,des dessins animés violents et bébêtes. Pourquoi la télévision ne serait-elle pas soumise à un cahier des charges éducatif ? pourquoi la télévision ne diffuserait-elle pas des contes, des documentaires expliquant le monde, des jeux intelligents ? Et qu'on ne me réponde pas que c'est le rôle de la Cinquième. Car si la Cinquième est la seule à accomplir cette mission, on ne s'étonnera pas que les enfants, attirés comme nous les adultes par la facilité, se précipitent sur le "bigdil" de TF1 ou "Hit-machine" sur M6.

Cra, enfin, l'Ecole ne peut pas faire seule ce que la société refuse de faire. L'Ecole ne peut être une oasis de Culture, d'Effort, de Savoir, si tous les signaux que propage notre société de consommation prônent le contraire. On ne peut reprocher à l'Ecole son échec à transmettre le goût de l'effort, le savoir, le plaisir de la lecture, si ailleurs (télévision, publicité, comportement des adultes) c'est la facilité, le court-terme, le plaisir immédiat, le matérialisme qui dominent. Quand à la télévision on parlera de la Culture, du Gratuit, du Sens, au lieu de s'extasier sur les "milliardaires en short", quand les parents eux-mêmes passeront leur samedi après-Midi à la bibliothèque, ou dans une quelconque association, plutôt qu'à lécher les vitrines d'Auchan, quand on aura rabaissé l'Economie au rang d'outil pour accéder à la Culture et au Savoir, au lieu d'en faire une fin en soi, la mission à l'Ecole des professeurs n'en sera que plus aisée.

Dans une société qui s'extasie quand les ventes sur Internet explosent ou quand la croissance des ventes de portables atteint 20% l'an, et qui s'inquiète quand les dépenses éducatives augmentent de seulement 3 % l'an, on se dit que la hiérarchie des valeurs est inversée et que les Moyens sont devenus des Fins.