Le Beau s'éduque
L'économie de marché nous a affranchis de la quête pour la survie, en augmentant nos niveaux de vie, en allongeant l'espérance de vie, en nous ouvrant largement l'accès aux loisirs et à l'éducation. C'est un fait qu'il serait stupide de vouloir remettre en cause. Cela admis, la marche que suit cette économie de marché est aléatoire, ou disons plutôt qu'elle n'est pas déterminée. Elle dépend de l'interaction de millions de comportements quotidiens, dont les vôtres et les miens.

Dès lors, selon la façon dont chacun d'entre nous va orienter ses dépenses, hiérarchiser ses besoins, définir ses priorités, les caractéristiques de la société dans laquelle on est seront singulièrement différentes. On peut par exemple décider de consacrer l'intégralité de nos revenus à l'achat de portables, de bagnoles, de fringues, d'équipements électro-ménagers : dans ce cas, les entreprises qui fabriquent ces biens prospéreront, on vivra dans un monde de biens matériels,... Les meilleurs étudiants étudieront le marketing et la finance, etc...

On peut aussi décider de consacrer ses revenus à acheter des oeuvres d'art, à pratiquer un sport, ou un instrument de musique, à apprendre ce qu'on a toujours rêvé d'apprendre à l'Université, ... Et dans ce cas, on aura besoin de plus de musiciens, de professeurs, d'artistes, ... et les meilleurs étudiants se tourneront vers ce type d'études.

Bien sûr, pour les besoins de la démonstration, je caricature les oppositions entre ces deux mondes. Mon propos est simplement de montrer que ce n'est pas l'économie de marché qui, telle un deus ex machina, aurait décidé que nous avons besoin de voitures pour nous déplacer, de gadgets électroniques pour équiper nos maisons, ou de jeux video pour nous distraire. L'économie de marché n'a pas d'existence charnelle, pas de volonté propre : elle n'est qu'un système efficace au sein duquel toutes les valeurs, tous les goûts, tous les besoins personnels peuvent coexister.

Or, je prétends que tout ne se vaut pas : le Beau s'éduque par exemple, qu'il s'agisse d'architecture, de peinture, de littérature, de musique. De même, il y a des opinions fondées et des opinions fausses, des raisonnments logiques et des sophismes,... Voilà pourquoi je défends une Ecole exigeante, qui transmette des savoirs, de la culture générale. C'est elle qui permet ensuite aux individus, arrivés à l'âge adulte de faire des choix, y compris des choix en matière de consommation, en toute connaissance de cause. Un enfant qui n'a pas été en contact avec la culture humaniste et scientifique (par l'Ecole ou par sa famille) entrera dans cette société de consommation singulièrement affaibli : il sera plus facilement la proie du discours publicitaire, il se persuadera plus facilement que ses besoins sont ceux que lui vantent les marchands du temple.