Topaze

La salle des professeurs, à la pause du matin. Une collègue se plaint que sa fille qui est en 5è doive étudier en classe "Topaze" de Pagnol. Elle trouve que c'est trop difficile, qu'il y a des mots que sa fille ne comprend pas. On en est là : Topaze, c'est trop difficile en 5è. Il faudrait étudier Pagnol en 3è, peut-être même au lycée.  Si certains doutaient encore de la baisse du niveau...

Pourtant, les élèves d'aujourd'hui ne sont pas plus sots qu'autrefois. Que s'est-il passé pour qu'une pièce de théâtre qui était jugée facile à lire il y a 30 ans devienne étrangère à des adolescents de 12 ans ?

La vérité est simple. Les élèves du primaire écrivent et lisent en classe 3 fois moins qu'il y a 30 ans. Ils ne maîtrisent plus la langue française comme on la maîtrisait autefois. Ils ne sont plus chez eux dans la langue française. Au collège, les heures de français sont réduites à la portion congrue : les heures qui restent servent à combler les lacunes accumulées depuis l'école primaire, à gérer l'hétérogénéité croissante des classes, tout cela au détriment de la littérature.

Personne n'y croit plus, à commencer par nos élites. On considère cette évolution comme fatale. Inéluctable. Mac Luhan aurait gagné définitivement contre Gutenberg. On présente comme une manifestation du destin ce qui n'est que le produit d'une politique. Du coup, aidé de pseudo-sociologues, on décrit une réalité qu'on décrète ensuite immuable, et on décide que l'enseignement doit s'adapter à cette réalité : des élèves ne savent pas lire un texte de difficulté moyenne ? d'autres s'expriment avec un vocabulaire limité et sont incapables d'argumenter à l'écrit ? Ce n'est pas grave : la société n'a plus besoin de gens qui réfléchissent, qui se frottent à l'abstrait. Elle veut des communicants, des individus à l'aise sur un clavier. Pas trop d'instruction, pas trop de recul, c'est inutile à l'heure d'Internet et du portable.

Comme les temps changent : il y a un siècle, Jules Ferry partait justement de prémisses opposées. Dans la France illettrée de l'époque, on ne cherchait pas à adapter les contenus de l'école à la réalité sociale. On ne faisait pas de longues études sociologiques pour adapter les programmes à la population scolaire. On ne faisait pas de prospective pour formater les individus aux besoins de l'entreprise de demain. On se contentait de transmettre l'héritage, d'initier à la culture et de créer des citoyens.

Il y a un siècle, on sacralisait l'école ; aujourd'hui, on idôlatre la société.