"Nous devons offrir aux gens ce qu'ils attendent"
 

Karl Popper a été un des grands penseurs de ce siècle. Un de ceux qu'on lit fébrilement à 20 ans, et qui vous marque pour longtemps . Un penseur du libéralisme, pas au sens étriqué de la vulgate économique qu'on nous assène tous les jours dans les médias, celle des youpi.con et des pangloss.fr, non, un vrai libéral, pour qui les institutions politiques sont d'abord là pour protéger les individus contre les violences, publiques ou privées, les nationalismes et les grandes injustices.

Or, Popper a écrit avant de disparaître quelques lignes sur la télévision : "Au cours d'une discussion avec le responsable d'une chaîne, il me tint des propos effarants qui lui paraissaient naturellement indiscutables. "Nous devons offrir aux gens ce qu'ils attendent", disait-il par exemple. Sa position lui semblait conforme aux principes de la démocratie. Or, rien dans la démocratie ne justifie la thèse de ce directeur de chaîne, pour qui le fait de présenter des émissions de plus en plus médiocres correspond aux principes de la démocratie, "parce que c'est ce que les gens attendent". La démocratie n'est rien d'autre qu'un système de protection contre la dictature et rien à l'intérieur de la démocratie n'interdit aux personnes les plus instruites de communiquer leur savoir à celles qui le sont moins. Bien au contraire, la démocratie a toujours cherché à élever le niveau d'éducation : c'est là son aspiration authentique"

A une époque où on confond un peu trop libéralisme et déréglementation tous azimuts, Popper nous montre que la règle n'est pas toujours l'ennemie de la liberté. Et que, paradoxalement, elle est en parfois le fondement. C'est que, dans l'esprit de Popper,  la réglementation des programmes de télévision n'est pas conçue comme une entorse à son libéralisme politique, elle en est au contraire la clé de voûte qui en renforce la cohérence. Plus on éduquerait les jeunes à la culture de la non-violence, moins on aurait besoin d'un Etat édictant des normes pénales sévères, recrutant des matons, construisant des casernes. Plus l'éducation des citoyens serait élevée, moins l'Etat aurait besoin d'intervenir.

Autrement dit, pour Popper, un libéral se doit de renoncer  à la logique de la demande dès lors que l'éducation est en cause. C'est-à-dire de refuser pour l'école la logique pure et dure du marché, qui transforme élèves et parents en simples consommateurs d'école. Car faire de l'école un supermarché où le client-élève serait roi, c'est abandonner les mathématiques pour internet, échanger Racine contre Stephen KIng, étudier en classe l'Equipe plutôt que le Grévisse.

Popper n'a pas connu Allègre. On se dit qu'il aurait sans doute sévèrement condamné la logique de la demande d'éducation qu'Allègre a réussi à mettre en oeuvre (donner des cours d'informatique et d'anglais dès le primaire parce que c'est ce que veulent les parents, modifier la pédagogie parce que c'est ce que veulent les jeunes, placer l'élève au centre du système éducatif comme le vendeur de nouilles hertziennes place l'audimat au centre de ses choix). Et qu'il aurait ardemment défendu une logique de l'offre : non pas offrir ce que les parents ou les enfants demandent, mais bien plutôt ce qui est nécessaire pour qu'ils soient éduqués et instruits. C'est-à-dire avant tout de la culture générale.
 

                                                                                                                                    vandale@free.fr
                                                                                                                                    le 1er octobre 2000